Aisance rédactionnelle


Possédant une bonne aisance rédactionnelle et un réel plaisir à manier l'écriture quelle que soit les thèmes,  je vous propose pour vous en convaincre deux histoires courtes sorties de ma plume. 

1° Fichue matinée

Tiens, le réveil a déjà sonné ?
Jules n’a rien entendu, il ouvre un œil juste un, à vue de nez, il doit être huit heure trente, peut être neuf à tout casser.
Il a mal dormi, la faute aux invités d’hier soir. Ils ont envahi l’appartement d’en bas jusque tard dans la nuit. Ça n’a dérangé personne, sauf Jules. Ces odeurs de cuisine africaine et ces sons de bongos mélangés aux rires et aux chants, lui il ne supporte pas. Il a besoin de calme Jules pour dormir.
Résultat: des insomnies aux relents d’huile de palme, les oreilles qui bourdonnent et l’estomac en boule toute la nuit.

Une vague odeur de café flotte encore dans l’air, imbriquée à un relent de savonnette vanille-fraise, le tout écrasé par quelque chose de nettement plus fort qui s’enfile dans vos narines à les gonfler d’irritations piquantes.
Vanille fraise, passe encore, il aime bien, quoique ça réveille tout de même un mauvais souvenir à son estomac trois quarts de savonnette avalés gloutonnement, mais ce truc infâme qui lui taraude les olfactives, c’est insupportable.

Il isole le parfum, l’analyse jusque dans ses papilles. Mais ? C’est quoi cette horreur frelatée ?
Son cerveau se met en mode "recherche" et ouvre à toute vitesse les dossiers "nez" et "mauvais souvenirs"
Pouah! Ça y est, il a trouvé : le dernier "sent pas bon" de Pilou. Ce truc infâme dont il s’asperge matin et soir en bombant le torse chaque fois qu’il passe devant le miroir depuis une semaine, depuis qu’il a trois poils au menton.
Quelle histoire pour trois poils…

Jules s’étire paresseusement, se frotte et re-frotte les narines, les pousse sous le coussin, ça supprimera l’odeur au moins pour un moment, le temps qu’elle s’évapore.
Comment n’a t’-il pas entendu ce fichu réveil, il les a raté maintenant, ils ont dû se lever sans lui, sans son aide précieuse et indispensable. Cette indubitable constatation lui tire des gémissements de dépit.

D’habitude il est toujours le premier réveillé, juste pour le plaisir d’aller chatouiller les orteils de Sofie.  Juste pour le plaisir de la voir se tortiller sous les draps en cachant ses petits pieds roses, et surtout, oh oui surtout, pour les énormes câlins qu’elle lui fait quand elle se lève.

Jules a mal au cœur, pas de câlin, quelle poisse vraiment. Mais si ce n’était que ça, vu l’odeur entêtante qui le poursuit sadiquement en se glissant même sous le coussin, ils sont déjà partis.
Il grogne de dépit, si Pilou est parti, pas de course chaussettes ce matin, pas de rire et de coquinerie, c’est affreux, un véritable drame.
Jules c’est le majordome de la chaussette, l’ordonnateur du bon goût pédestre, personne ne lui contestera ça, surtout pas Pilou, ses chaussettes c’est toujours lui, Jules, qui les choisit !

Jules soupire inconsolable, sa matinée est fichue. Sans compter qu’ils ne sont pas descendus à deux,  saluer le facteur hilare devant cette équipe de choc au relever de courrier. 
Il a raté l’air tout  frais du petit matin, les concours d’arrosages quotidiens sur le vieux mélèze à grands éclats de rire, parce qu’entre lui et Pilou c’est toujours le même qui gagne, les cavalcades dans l’escalier et même le petit dej.
Il a tout raté et ça le déprime Jules

Maintenant qu’il est trop tard  il n’a vraiment plus envie de se lever mais  quand on est réveillé il y a des choses qui pressent. Il s’extirpe péniblement de la couverture,  passe la tête derrière le rideau : Il a neigé toute la nuit, le jardin est virginal, immaculé, juste comme il aime…

Allons bon, Sofie a fermé à clef, quelle frileuse cette fille là, même pas question de faire un tour dehors, mais quelle poisse !
Le temps qu’ils rentrent tous les deux, tout aura encore fondu, le blanc de blanc aura pris des couleurs de grisaille et les fichus chats du voisin d’en bas auront encore démoli ce décor superbe de leurs traces de pattes griffues sur l’épais tapis blanc. 
C’est horrible, il en pleurerait presque.               

Il se traîne à petits pas vers la cuisine. Sur la table, une tasse à café vide, un demi bol de lait, deux biscuits petit déjeuner le narguent. 
Jules grimpe sur le tabouret, inspecte le tout, grignote un tantinet... Non, pas envie, décidément envie de rien ce matin. Fichue matinée, vivement midi.

Jules est dépité, il tourne en rond, passe d’une pièce à l’autre et de l’autre à l’une, en refait le tour, soupire sans savoir que faire. Que c’est long le temps parfois !
Oh et puis zut ! Il a la maison pour lui tout seul, autant en profiter pour se reposer, calmer ses narines en feu, pas question d’oublier de se lever demain.
Allez hop, retour au dodo et dans le meilleur lit, celui de Sofie évidement, après tout elle n’en saura rien.

Dormir encore un peu pour oublier cette infortune, dormir jusque midi, dormir jusque…
Jules rêve de promenades, de chats hirsutes et puants, de tunnels sous la neige, de poursuites avec Pilou, de porte qui grince…

… Porte qui grince, voix dans le couloir, Pilou qui crie "on est lààààà"
Jules ouvre un œil, pointe le nez hors de la couette,  juste à temps pour se rendre compte que…
Un oreiller percute sa tête, Sofie hurle: "Juuuules que fais tu dans mon lit !! Ouste, dehors, Pilou sapristi sort ce chien tout de suite, veux-tu ? "

Fichue matinée vraiment !




2° Le carnet d'adresses 


Ca fait dix ans que Monsieur Watanabe met de côté touts ses petits yens en trop, histoire de les convertir en dollars et puis en euro évidement, pour visiter le monde. Le monde c‘est ce qu’il y a en dehors de chez lui, cela va de soi, c’est le délit de monsieur Watanabe, son grand rêve de toujours, l’envie qu’il a de faire pleins de kilomètres et de le visiter ce monde.

Alors quand il a trouvé, quasi sur le pas de sa porte, un petit carnet rose tout mouillé par la rosée du matin, il l’a mis dans sa poche comme une promesse de voyage et il est parti travailler à l’usine sans l’ouvrir.
Ça l’a chipoté toute la journée ce petit carnet, vous savez Monsieur Watanabe est quelqu’un de très poli, de très respectueux aussi et il s’est senti comme un voleur avec cet objet étrange qui pesait dans sa poche.

Au soir, quand il est rentré dans son petit appartement, il l’a sorti doucement, presque pieusement, et l’a posé près de lui sur la table basse où le petit carnet la nargué tout le long de son repas.
Monsieur Watanabe n’est pas homme à violer comme cela un objet étranger, il a mangé doucement ses tempuras en lui jetant un oeil timide. Il a bu son saké lentement, pris une grande inspiration et il a précautionneusement ouvert le petit carnet rose à sa dernière page.

Sous des effluves de magnolia, il en était sûr, il a lu à voix haute lentement en détachant les syllabes :
« Zzzor-ba re-sto grrrec, I-xelles » tracé d’une petite écriture fine et liée, suivi de « pluus en ser-vice » annoté au gros crayon rouge par une main plus rapide, comme s’il s’agissait d’autres doigts.
«  Wil-liam ma-anège sterr-ebeek – sans in-té-rêt »
« Wright John Edim-burgh – idem »

Perplexe, monsieur Watanabe tourna chaque page une à une avec grande précaution, après tout le petit carnet venait de loin à n’en pas douter, il méritait un grand respect. 
Des centaines de petits textes tous pareils s’étalaient, tous posément inscrits, rayés ou annotés de rouge.
Il remonta ainsi lentement jusqu’au début, la tête pleine de rêves, lui qui  n’avait jamais voyagé.
 « Ce carnet appartient à Camille », une femme à n’en pas douter, rien que par la couleur du petit carnet et puis surtout par cette odeur de magnolia qu’il comprit tout de suite en lissant de ses petits doigts timides l’énorme tache brune qui s’étalait bien au creux de la couverture : du parfum dont les effluves s’échappaient toujours.

Monsieur Watanabe, perplexe tout de même, se leva doucement, sorti sa grande carte d’Europe, son dictionnaire, son petit crayon noir et chaussa ses lunettes de presbyte. Avec application, car il était un petit homme très appliqué, il rouvrit le petit carnet et entreprit de trouver tous les lieux sur la carte.
Pour certains c’était facile : Paris, Toulouse évidement, Edimbourgh, Brighton, Lille mirent un peu plus de temps,  quand à Zarzis, Goutroux et Sterrebeek, il n’arriva à les trouver que grâce à l’indicatif téléphonique international.

A deux heures du matin monsieur Watanabe avait rempli sa carte de petits ronds tous noirs, d’Espagne en Italie, du Royaume Uni en France et en Belgique, il avait couvert là une bonne partie de l’Europe et il avait eu grandement le temps de prendre sa décision : Il allait rendre le petit carnet rose à Camille en mains propres.
Il voulait voyager, eh bien que diable c’était le moment ! « Tabi wa michidzure - Aucune route n’est longue à côté d’un ami » disait le proverbe, ce petit carnet là serait devenait le sien.

Après bien des mois de préparations, on ne part pas à l'aventure comme cela quand on n'a jamais voyagé, monsieur Watanabe débarqua à Edimbourgh. c’était l’heure de midi et comme il avait faim et qu’il n’avait aucune idée, il ouvrir le petit carnet et décida de suivre l’annotation rouge : « Victoria family restaurant – Excellent ! » Il se rendit donc au 13 Brunswick Street en suivant son mini plan de poche.
Le lieu était bondé, mais le patron adorable fit de suite une place à ce petit oriental si poli et discret.
Monsieur Watanabe lui montra le carnet, le nom de la page de garde, mais Tony Crolla qui voyait défiler toute la ville ne put rien lui dire de cette Camille-là, ça ne lui disait rien, par contre Mr Wright était un bon client et il pourrait sans doute lui en apprendre plus sur son compagnon de route.

John Wright arriva au dessert, son dalmatien fidèle, collé à ses longues jambes maigres. Il prit un thé au lait, ouvrit le petit carnet avec étonnement et dit en roulant ses "r ":
Camille ! Eh beh ! Bien sûr c’est ma cousine, mais il y a des siècles que je ne l’ai plus vue. Nous en avons passé des vacances vous savez, j’adorais aller sur le continent quand j’étais plus jeune, maintenant je suis pensionné vous voyez, je ne bouge plus beaucoup. Oh comme je vous envie, quel périple vous avez dû faire !
Mais je m’égare, sorry, oui bien sûr, ma cousine, elle avait une kyrielle de chats  siamois, elle faisait l’élevage vous voyez, ils dormaient toujours tous autour de moi quand je venais la voir. Des grappes de chats, moi qui n'aime que les chiens !
Qu’est ce qu’on en a visité des musées et mangé des bons petits plats, d’ailleurs je vous recommande la Vilaine Laura, si vous allez à Bruxelles, vous voyez elle a inscrit « super ». Bizarre tout de même ces annotations rouges, on dirait une autre écriture, et étrange c’est inscrit « plus en service »  
Mais je m’égare, je m’égare, non désolé, je ne sais plus où elle est, je l’ai perdue de vue après la mort de ses parents, mais peut être son frère Douglas à Brighton saura vous en dire plus ?

Brighton, fut donc la destination suivante,  le Park View de Preston Drove avait changé de propriétaire, la cuisine était toujours excellente cependant  mais le frère Douglas n’y vivait plus. Monsieur Watanabe trouva sa trace au  Lion And Lobster dont il était le propriétaire et en écoutant du jazz il apprit tout de même qu’il avait des chances de le trouver au soir au Green Briar Irish Pub où d’ailleurs le petit carnet indiquait que la Guinness était aussi bonne que les chicken pies
C’est donc devant une Guinness bien fraiche que monsieur Watanabe appris de Mister Lyons que Camille était sa demi-sœur et ne venait plus à Brighton depuis fort longtemps, depuis la mort de leurs parents précisément. Mais comme Douglas adorait les voyages et les étrangers tout autant et qu’après tout ce petit oriental était presque de la famille, il lui fit faire le tour des whiskies de son study et au petit matin monsieur Watanabe n’arriva plus à se souvenir où Camille habitait à présent.

Dans l’avion qui le menait à Bruxelles, il eu le temps de remettre un peu d’ordre dans ses idées et une fois ses valises posées à l’hôtel il décida de s’offrir un repas décent au Shogun dont l’annotation  rouge disait tellement de bien. Il faut le comprendre, les voyages c’est excitant mais parfois le pays vous manque, surtout quand votre estomac a subit des 25 ans d’âge  après l’expérience douloureuse du haggis et des turnips.
C’est donc devant un saké à bonne température qu’il apprit de la patronne même que Camille ne venait plus au Shogun depuis un bon moment.

Le lendemain, tout guilleret de sa soirée précédente, il décida de visiter Bruxelles et peut être d’essayer d’appeler « William-manège-sans-intérêt »
Hélas il ne comprit rien à la conversation, car son correspondant ne parlait pas un mot d'anglais et entre le mot "Harley" qui revenait souvent entre coupé de "ok?", monsieur Watanabe en conclu que Camille avait sans doute émigré aux Etats-Unis, ce qui le mit fort en peine, lui qui avait décidé de limiter ses voyages à l’Europe.
Aussi quand il se trouva devant la Vilaine Laura, fermée, il hésita à se rendre à la Villa Lorraine qui tout de même indiquait « excessif » et choisit de diner chez « La fiancée du pirate » annotée d’un rouge « sublime », pour tester la cuisine malgache sûr et certain qu'il était de ne jamais aller à Madagascar.
Le patron lui appris que Camille revenait parfois à Bruxelles, d’ailleurs elle était ici la semaine dernière avec un ami Parisien, de Nanterre précisément.
Si si, il s’en souvenait très bien, elle avait pris son avocat du diable, comme toujours, suivi d’un rogay d’espadon qu’il lui conseilla vivement  d’essayer.

Le lendemain matin, monsieur Watanabe pris le train pour Paris, dîna prudemment à l’Aniwa dans le quartier de l’opéra pour remettre son estomac des piments malgaches et sauta dans le R.E.R Nanterre préfecture pour tenter de retrouver « Ami-Bruno-sans-intérêt. »
Un jolie petite kabyle souriante lui ouvrit la porte et devant ses explications confuses elle l’invita à entrer.
Oui bien sûr, elle connaissait bien Camille, elle était venue à son mariage d’ailleurs. Non non, elle n’était pas là, elle était repartie avant-hier pour Neuchâtel, en Suisse. Mais asseyez-vous donc monsieur, vous voulez une tasse de thé ? Bruno va rentrer du supermarché et Pierre de son boulot.
Vous comprenez, nous nous sommes mariés il y a peu et nous logeons ici le temps de  trouver un appart, Paris c’est difficile.

Monsieur Watanabe sirotait son thé à la menthe en grignotant ses cornes de gazelle, quand Bruno rentra des commis. Il eu le plaisir d’échanger quelques mots de japonais et de comprendre tout de même que Camille était une grande amie qui résidait en Suisse depuis quelques années.
Comme il déposait religieusement le petit carnet rose sur la table encombrée,  Bruno fit mine de le saisir et de lui expliquer qu’il l’enverrait sans faute à Neuchâtel.
Mais monsieur Watanabe n’allait pas se laisser faire ! Ah non non, se séparer  d’un ami comme cela ? Il répéta poliment avec énergie plusieurs fois « Ie ie » et se fit remettre le petit carnet avec l’adresse de Camille soigneusement écrite à l’encre de chine noire sur la toute première page.

Deux jours plus tard, nous prenions calmement notre petit déjeuner assis sur la terrasse mon fils et moi, quand nous vîmes arriver du bout du chemin, un drôle de petit bonhomme en manches de chemise blanche.  Quand il sonna à notre porte, j’ouvris un peu étonnée et vis un petit japonais rieur qui me faisait des courbettes un bouquet de magnolias à la main.
Je le fis entrer vous pensez bien, et devant mon café matinal j’appris avec stupeur qu’il avait retrouvé mon vieux carnet d’adresse perdu depuis 10 ans. Mais qui donc avait noté tous ces détails en rouge ?

Épilogue :
Si vous voyagez dans tous ces lieux visités par monsieur Watanabe, sachez que les restaurants, pubs et bars existent réellement ou ont existé. On y mange merveilleusement bien, foi de petit japonais !



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